Portraits

Interview : Nina Jensen.

Publié le 09.09.2020
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A la rencontre de la gagnante de la Castel Sommelier Cup 2016 et médaillée d'argent au Concours du Meilleur Sommelier du Monde 2019.


Depuis qu’elle a remporté la Castel European Young Sommelier Cup à Londres en 2016, la carrière de Nina Jensen a véritablement décollé. L’année dernière, après une finale plus que tendue en Belgique, Nina a reçu la médaille d’argent au prestigieux concours du Meilleur Sommelier du Monde. Nous l’avons rencontrée la semaine dernière afin d’échanger au sujet de sa passion pour le vin, sa vie en tant que sommelière d’un des meilleurs restaurants du Danemark et l’état actuel du métier.




Bonjour Nina. Pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel jusqu’à aujourd’hui ?


Je travaille au Danemark, dans la ville de Vejle, dans un restaurant récemment ouvert, qui s’appelle Lyst. J’ai le plaisir de détenir le poste de cheffe sommelière. Avant, je travaillais au Kong Hans, un restaurant étoilé traditionnel à Copenhague, et deux Bibs Gourmands très spécialisés en vin : Anarki et Le Sommelier. J’ai commencé en salle au Sommelier en 2012, où j’étais entourée de quelques-uns des meilleurs sommeliers du pays. C’est là où j’ai eu mes premières expériences avec le vin, dès le premier jour quasiment. Chaque restaurant où j’ai travaillé a été très orienté vin. J’ai également pu participer à de nombreux concours et c’est quelque chose qui me plait beaucoup. J’ai commencé en 2016 par la Castel Young Sommelier Cup et également le Nordic Sommelier Championship. Les deux se sont très bien passés !  




Dîtes-nous un peu plus à propos de Lyst. Quelle est la place du vin dans le restaurant ?


Côté cuisine, nous travaillons uniquement avec des ingrédients locaux. Je dirais que la base de notre cuisine est nordique, mais nous tirons nos inspirations du monde entier. Le restaurant lui-même est une véritable œuvre d’art, conçu par l’architecte célèbre Olafur Eliasson, qui est connu pour ses projets à New York et à Londres, et ses œuvres qui ont été exposées partout dans le monde. Nous essayons d’incorporer des éléments de cette architecture dans notre façon de cuisiner et de gérer le restaurant. C’est une ambiance très dynamique : les plats changent toutes les semaines. Nous avons un menu unique, mais les 20 à 25 plats qui le composent sont renouvelés chaque semaine, ce qui nous permet de travailler les accords avec les vins de manière dynamique et régulière, et c’est très plaisant. Nous proposons trois accords différents pour chaque plat, ce qui veut dire que nous pouvons arriver jusqu’à 30 accords différents par mois, bien que le restaurant ne soit ouvert que trois jours par semaine !


Le restaurant n’a qu’une petite capacité d’accueil (28 couverts), ce qui nous permet de travailler avec des vins extrêmement rares et exclusives pour les accords, étant donné qu’il nous faut un maximum de 4 bouteilles par soir. Nous pouvons changer les vins du jour au lendemain si nous le souhaitons. Nous n’avons pas une philosophie unique en ce qui concerne le style des vins que nous servons ; ce n’est pas dogmatique. Nous avons toute une gamme qui va du vin nature aux styles plus traditionnels. Les vins que nous servons sont principalement européens, mais nous en avons également d’Afrique du Sud, des Etats Unis et d’Australie. Nous essayons de garder une approche ludique, pleine d’énergie, ouverte d’esprit et surtout curieuse.



Comment définiriez-vous le rôle d’un sommelier d’aujourd’hui ?


Avant tout, nous sommes des communicants : nous sommes là pour établir un lien entre ceux qui produisent le vin et ceux qui le dégustent. Pour moi, c’est la seule chose qui est commune à tous les sommeliers. C’est notre raison d’être. A part ça, il y a énormément de variations dans la conception du rôle du sommelier. Bien sûr, nous sommes là pour favoriser la compréhension et le respect du vin. Je pense que le rôle devient de plus en plus important. Le consommateur s’intéresse de plus en plus au vin. Les dépenses sur le vin en restauration augmentent également, surtout chez les jeunes. Chaque style de restaurant demande son propre style de sommelier. Ce qui nous relie, c’est qu’il s’agit toujours de communication ; de comprendre les besoins du client pour lui permettre de mieux comprendre le vin qu’il boit.




Quelles sont les spécificités du métier de sommelier au Danemark?


Le Danemark se divise en deux zones : Copenhague et le reste. A Copenhague, on voit beaucoup de vins natures. C’est une des plaques tournantes du vin nature. A mon avis, le sommelier moyen à Copenhague s’y connait beaucoup mieux en producteurs de vin nature que celui de n’importe quel autre pays. Une autre différence, c’est qu’au Danemark nous ne produisons pas de vin nous-mêmes. Nous ne nous concentrons donc pas excessivement sur les vins d’un pays en particulier. Notre spécificité, c’est peut-être notre ouverture d’esprit, notre capacité de trouver de l’inspiration partout dans le monde.




Comment la profession a-t-elle changé au cours des 10 dernières années?


Les choses changent extrêmement rapidement. Je dirais qu’un des plus grands changements a été que le consommateur moyen s’y connait beaucoup plus en vin qu’avant. C’est la technologie, et surtout les réseaux sociaux, qui fait la différence. Elle a centré l’attention sur un petit nombre de vins qui étaient déjà considérés comme « rares » et qui maintenant reçoivent encore plus d’attention. C’est le phénomène de ce qu’on appelle des « vins licornes ». Il y a un côté positif et un côté négatif de la technologie. Le côté positif, c’est que les gens ont aujourd’hui accès à énormément d’informations sur le vin, ce qui leur permet d’élargir leurs horizons. Le côté négatif, c’est que les gens peuvent devenir extrêmement bornés dans leur façon de boire du vin. De plus en plus de consommateurs ont envie de boire uniquement des vins qui feront bonne impression sur les réseaux sociaux. C’est quelque chose que la sommellerie doit aborder. On ne devrait pas boire du vin parce qu’on veut des « likes » sur Instagram. On devrait boire du vin pour le plaisir, ou par curiosité. Le consommateur doit avoir le courage de se faire conseiller par le sommelier qui, lui, doit pouvoir proposer des alternatives raisonnables aux vins extrêmement rares. Notre métier consiste à faire tomber ces barrières.


En ce qui concerne la façon dont les restaurants utilisent la technologie, je pense qu’on verra de plus en plus de cartes des vins sur iPad. Nous avons déjà vu l’utilisation des QR codes pendant le confinement, qui a été intelligente et efficace. Nous verrons de plus en plus ce genre de choses dans les restaurants de type bistrot/brasserie. Dans les restaurants gastronomiques, on restera plus traditionnels, parce qu’on s’attache toujours au charme de la carte des vins imprimée sur du papier luxueux.



Quels sont vos souvenirs de la Castel Young Sommelier Cup en 2016 ?


Tout d’abord je me suis beaucoup amusée ! J’ai rencontré beaucoup de gens sympas. Je ne m’attendais pas à gagner. J’ai aussi le souvenir d’un événement extrêmement sérieux et bien organisé. On sentait que tous les organisateurs respectaient les candidats et souhaitaient que le concours soit aussi rigoureux que possible. C’était super de rencontrer autant de sommeliers issus de pays différents ! 


Et bien sûr c’était la dernière occasion que j’ai eue de rencontrer Monsieur Gérard Basset en personne. C’est un souvenir que je garderai encore longtemps.




Que retenez-vous du concours du Meilleur Sommelier du Monde l’année dernière ? Et que représente pour vous votre médaille d’argent ?


Je me souviens surtout de la concentration profonde que le concours a nécessitée. Je me souviens des moments d’attente, qui m’ont laissé beaucoup de temps pour réfléchir. J’adore les concours. J’adore la montée d’adrénaline. J’adore le fait d’apprendre à contrôler ses émotions. Je dirais que, pour ce concours, je m’étais beaucoup préparée, donc une fois sur place j’étais un peu plus timide à l’égard des autres candidats. J’ai passé plus de temps toute seule. Arriver en finale était bien au-delà de mes attentes. J’espérais arriver en demi-finale, donc me qualifier pour la finale était incroyable. J’étais la seule sur scène, donc je me suis rendu compte assez tardivement que j’étais en finale. Je me suis dit que j’avais déjà largement dépassé mes attentes, donc il était question de profiter un maximum de l’expérience, et d’en apprendre autant que possible. De très bons souvenirs !  



Quelle importance ont les concours internationaux pour le métier de sommelier?


Pour moi, ils sont très importants. Je sais que les concours ne sont pas pour tout le monde, et je constate que quelques un des meilleurs sommeliers du monde n’ont pas de titre « officiel », tout simplement parce qu’ils n’aiment pas ce genre de compétition. Mais je dirais pourtant que les concours sont une bonne chose, parce qu’ils sont une source d’inspiration et d’objectifs. Ils permettent également de sensibiliser le public aux techniques du métier.  




D’où vient votre passion pour le vin ?


Ça vient du moment où j’ai commencé à travailler en salle. Je voulais faire une formation de serveur, qui prend presque 4 ans au Danemark. A ce moment-là j’avais 18 ans, donc je buvais du vin mais je n’en étais pas encore passionnée. Cependant j’avais la vague idée que cela pourrait m’intéresser. C’est pour cela que j’ai postulé à mon premier restaurant, parce que je savais qu’ils étaient spécialisés en vin. Si on s’en occupe dès son premier jour de travail, on commence très vite à s’y intéresser, surtout quand on est entouré de passionnés. Ensuite, quand j’ai commencé à découvrir les accords mets et vins, c’est à ce moment-là que j’ai su que la sommellerie était pour moi !




Quelle est votre relation avec le vin de Bordeaux?


C’est drôle que vous me posiez cette question, parce que le vin de Bordeaux n’est pas tout à fait à la mode au Danemark en ce moment. Mais en fait j’adore le vin de Bordeaux. C’est une des régions qui me parlent le plus. Il faut juste savoir le boire à sa maturité, c’est le défi ! Beaucoup de sommeliers au Danemark n’ont jamais gouté un vin de Bordeaux à son sommet de maturité. Ils diraient : « c’est trop cher… c’est austère… ça n’a rien d’intéressant ». Alors c’est vrai si on boit le millésime 2016 par exemple d’un Grand Cru aujourd’hui… Ce sont des vins de qualité, mais certaines personnes les prennent pour des vins inaccessibles. J’ai eu la chance d’avoir gouté des vins de Bordeaux au sommet de leur maturité, ça m’a fait plaisir. Personnellement, j’adore Bordeaux et c’est une cause que je serais prête à défendre ! Bordeaux ne mourra jamais, mais je trouve que c’est dommage que les jeunes sommeliers n’aient souvent pas l’occasion de le découvrir. 


Retrouvez Nina sur Instagram @vonjensen   


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